Petite étude sur l’impact d’une scordatura sur les résonances par sympathie des instruments à cordes

Blog “Dans l’Atelier du Compositeur” & “Sculpteur de Notes”

Petite étude sur l’impact d’une scordatura sur les résonances par sympathie des instruments à cordes

Qui s’est déjà demandé quel était réellement l’impact du dés-accordage d’un instrument à cordes — vous savez, ce que l’on appelle dans le jargon une “scordatura” — sur ses harmoniques, sur ses résonances par sympathie, et par rebond, sur son timbre ?

Pas vous ? C’est normal ! Jusqu’à ce que je me penche sur la question, il y a un an ou deux, moi non plus !…

Du coup, j’ai mené ma petite étude sur l’effet que produisent ces fameuses scordatura sur nos si précieux instruments à cordes…

Je vous dis tout dans la vidéo ci-dessous :

Et voici maintenant la transcription intégrale de la vidéo :

Introduction

Bonjour à tous !

En tant que compositeur, je me suis récemment intéressé aux scordaturas. Je me suis en particulier demandé quel était l’impact d’une scordatura sur les résonances par sympathie.

Définitions

Les scordaturas, rappelons-le, c’est quand on désaccorde une ou plusieurs cordes d’un instrument à cordes par rapport à son accord habituel. Par exemple, dans ses 3 Strophes sur le Nom de Sacher, Henri Dutilleux demande au violoncelliste de s’accorder non pas sur la-ré-sol-do, mais sur la-ré-fa#-sib.

Les résonances par sympathie, c’est quand les harmoniques des différentes cordes possèdent des correspondances, des affinités entre elles, ce qui a pour effet de mettre en vibration certaines cordes même quand on ne joue pas directement dessus. On peut mettre en évidence le phénomène de résonance par sympathie par exemple quand on joue sur un violoncelle le sol 1er doigt en 4è position sur la corde do et que la corde sol à côté, sur laquelle pourtant on ne joue pas, se met à vibrer. C’est aussi le cas quand on joue un do 4è doigt sur la corde sol et que la corde do à vide entre en résonance.

Mon projet

Pour en revenir à mon projet, j’avais envie d’observer l’impact d’une scordatura sur les résonances par sympathie, et de comparer différentes scordaturas entre elles.

J’ai donc conçu et implémenté un petit programme au nom imprononçable — Scordatura Detuning Correspondences Calculator ! —, afin d’automatiser de manière prospective la recherche et la comparaison des scordaturas.

Démonstration

Je commence par choisir un pré-réglage, ici le violoncelle, mais j’en ai inclus d’autres, et on peut même créer soi-même librement son propre accord de base.

Ensuite, on paramètre la recherche : Je pars du principe qu’il vaut mieux désaccorder vers le bas plutôt que vers le haut, donc je vais autoriser le programme à monter seulement d’1 étape vers le haut, et par contre à descendre de 3 étapes vers le bas. La terminologie « étape » est ici importante, puisqu’on peut être soit en échelle chromatique, c’est-à-dire en demi-tons, soit en échelle micro-tonale, que j’ai limitée ici aux quarts de tons. Donc une étape correspond soit à un demi-ton, soit à un quart de ton.

Ensuite, tous les harmoniques ne sont pas égaux dans le phénomène de résonance par sympathie ! Les premiers harmoniques semblent avoir un effet plus marqué sur ces résonances. Je ne prétends pas être expert sur le sujet, et mes connaissances restent assez générales. Mais pour accélérer la recherche, on peut choisir le nombre d’harmoniques à prendre en compte. Ici, « 24 » est amplement suffisant ! Je choisis une marge de tolérance pour la comparaison des harmoniques, ici je vais prendre « 10 » cents.

Et je lance la recherche !

… Le programme est en train de calculer chaque configuration d’accord possible répondant aux limites imposées par mes critères. Pour chaque combinaison d’accord, il commence par calculer les fréquences correspondant à la série d’harmoniques de chaque corde, puis il compare toutes ces fréquences entre elles en prenant en compte la marge de tolérance, et enfin il consolide les résultats.

Évidemment, attention ! La durée de la recherche et du calcul des résultats augmente de manière exponentielle si l’on ajoute une corde, si l’on autorise une étape supplémentaire, ou que l’on augmente le nombre d’harmoniques à comparer. À l’inverse, en choisissant « 0 » dans le nombre d’étapes, on peut vérifier en un clin d’œil les correspondances d’harmoniques pour un accord précis.

Les résultats

J’obtiens donc un tableau dans lequel les noms de cordes en gras indiquent les cordes désaccordées par rapport à mon accord de base. On peut effectuer un tri par nombre de cordes désaccordées, ou par nombre de correspondances trouvées, ce qui permet d’effectuer une première sélection rapide parmi les configurations proposées. Enfin, dans la dernière colonne, je peux trouver le détail des correspondances : Parfois une fréquence se retrouve sur 2 cordes, parfois sur 3, parfois même sur 4 !

Je peux exporter un résultat en MusicXML, et comme Dorico prend en charge les quarts de tons, je me retrouve avec les séries d’harmoniques des cordes de cette configuration de scordatura directement dans Dorico.

J’ai simulé un grand nombre de scordaturas possibles, pas toujours réalistes du point de vue de la faisabilité, et j’ai réalisé plusieurs tableaux de comparaison, qui ne sont pas forcément exempts d’erreurs d’ailleurs.

Finalement, lorsque l’on prend en compte les résonances par sympathie et les écarts de main gauche à couvrir d’une corde à l’autre, en accord à intervalles égaux entre les cordes et en excluant les redoublements de notes, l’accord en quintes justes semble le meilleur compromis, suivi par la quarte juste. Je suis content, j’ai redécouvert la roue !

Pour terminer, cette petite étude comporte évidemment des biais, puisque je ne prends pas en compte les interférences avec les fréquences de résonance des différentes parties de l’instrument (ce qui dépend aussi de la facture instrumentale), je n’ai pas considéré ce qu’on appelle les « loups », je n’ai pas non plus pris en compte les différences de prégnance des harmoniques, ni les effets des modes de jeux, etc.

J’espère quand même n’avoir pas dit trop de bêtises. Et si vous voyez des erreurs, n’hésitez pas à me le faire savoir, ça m’intéresse !

Note : Je ne partage ici que la petite étude que j’ai menée sans prétention. En revanche, je ne partage pas le programme en lui-même, ni son code-source.