Ciné-concert pour Orchestre Symphonique
L’Orchestre national de Cannes, dirigé par Benjamin Levy
Photographie ci-dessus © ONC / M. Chatonnier
L’Orchestre national de Cannes, dirigé par Benjamin Levy
Photographies du carrousel ci-dessus © Alexis Savelief
Commanditaire : Commande de l’Orchestre National de Cannes
Année de composition : 2023
Durée : 14’05”
Version du film : version colorisée du film, restaurée en 2010-2011 par Lobster Films, La Fondation Groupama Gan pour le Cinéma et La Fondation Technicolor pour le Patrimoine du Cinéma
Nomenclature : 2 Fl. (2° aussi Pte Fl.) / 2 Htb. (2° aussi C.A.) / 2 Cl. (1° aussi Pte Cl., 2° aussi Cl. B.) / 2 Bsn. / 2 Cors / 2 Trp. / Trb. B. / Timb. (aussi Perc. 1) / Perc. 2 / 8 Vl. I / 6 Vl. II / 4 A. / 4 Vlc. / 2 Ctb.
Difficulté d’écoute : ** Intermédiaire (grand-public)
Mouvements :
Nombre de notes : 41 432 notes
Nombre de mesures : 349 mesures
Nombre de pages (conducteur) : 80 pages
Nombre de pages cumulées (matériel) : 571 pages
Orchestre national de Cannes — direction : Benjamin Levy
Enregistrement d’archives réalisé le 25 avril 2024, lors de la Création du ciné-concert
Dans le cadre de ma résidence artistique avec l’Orchestre National de Cannes, et en lien avec l’une des grandes thématiques de cette résidence — la musique de film —, l’Orchestre, dans sa volonté de mener une action forte autour de la musique de film, et notamment sur des films du patrimoine, m’a proposé de travailler autour du film de Georges Méliès Le Voyage dans la Lune (1902), pour lui donner une nouvelle partition musicale originale composée pour orchestre symphonique (effectif Mozart), ce film ne disposant d’aucune partition musicale d’époque.
Film du patrimoine cinématographique par excellence, Le Voyage dans la Lune (1902) de Georges Méliès est un film à part : considéré comme le 1er film de science-fiction de l’histoire du cinéma — excusez du peu ! —, c’est aussi le premier film classé au Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’Unesco en 2002.
Avec ses 13 375 images et son métrage de 260 m pour une durée de 14 minutes, inouïe pour l’époque (contre 20 à 60 m pour le film moyen à cette époque-là, soit de 1 à 3 minutes environ), il s’agit aussi d’un film faisant montre d’une ambition hors du commun.
Le Voyage dans la Lune reste dans la production de Georges Méliès probablement l’un de ses films les plus célèbres (sur un total d’environ 600 !), si ce n’est le plus célèbre.
Qui n’a d’ailleurs jamais entendu parler du film, au moins à travers cette image, célèbre entre toutes, de la Lune grimaçante, un obus fiché dans l’œil ?…
C’est que Méliès, homme de spectacle et illusionniste patenté, est aussi une figure importante à plus d’un titre dans l’histoire du 7è Art.
En effet, dès qu’il découvre les premières projections du cinématographe (vers l’âge de 34 ans), il perçoit aussitôt le potentiel narratif du cinématographe en tant que spectacle…
Sa connaissance de la scène et des trucages de magicien, dans la continuité de Robert Houdin (dont il a d’ailleurs racheté le théâtre à Paris, se produisant lui-même sur scène dans ses propres spectacles), lui confèrent une connaissance hors-pair des rouages de l’illusion, et il comprend très vite comment l’appliquer et la mettre au service de cet art naissant qu’est le cinéma en cette fin de XIXè siècle.
Méliès fait donc des pieds et des mains pour se procurer une caméra, ce qui est difficile à l’époque, car la fabrication de caméras n’est pas encore industrialisée, tant les prototypes divers se multiplient avec plus ou moins de bonheur et d’inventivité.
Après bien des péripéties, qu’il est inutile de relater ici, Méliès finit cependant par disposer de sa propre caméra, un modèle modifié.
Il va ainsi tourner autour de 600 films (dont une grande partie est hélas perdue — mais ceci est une autre histoire), des films de fiction, alors que la plupart de ses contemporains tournent encore des scènes essentiellement triviales et documentaires.
À l’époque, le cinématographe n’est en effet guère vu comme autre chose qu’une nouvelle invention, un procédé certes étonnant, une prouesse technique, mais dont la production filmique n’a rien d’un art, et reste la plupart du temps cantonnée à des sujets documentaires très courts, projetés en tant que simples curiosités dans les foires et autres fêtes foraines, pas encore en tant que spectacles à part entière (au même titre qu’un opéra, une pièce de théâtre, un ballet ou un spectacle d’illusionnisme).
Méliès va contribuer significativement à changer cet état de fait, œuvrant à travers sa production à donner ses lettres de noblesse au cinéma. C’est pourquoi il est en quelque sorte considéré comme le père du cinéma en tant qu’art (un art qui peut être narratif), mais aussi comme l’un des inventeurs de la séance de cinéma telle que nous la connaisons aujourd’hui.
Quant à son travail de pionnier des effets spéciaux, qui confèrent à ses films un charme poétique si surranné, il sera très vite imité partout dans le monde, plaçant Méliès face à une concurrence pas toujours loyale…
Néanmoins, il restera toujours indépendant, autonome (il se fit construire 2 studios de tournage dans le jardin de sa villa à Montreuil), concevant et réalisant ses films tout seul. Ne recevant d’ordres de personne (et maîtrisant tous les rôles), il a pu relativement librement exercer sa créativité et mener comme il l’entendait sa vision du cinématographe.
Dans Le Voyage dans la Lune, Méliès tirant son inspiration à la fois de Jules Verne (De la Terre à la Lune, 1865) et de l’opéra-féerie de Jacques Offenbach homonyme de son film (Le Voyage dans la Lune, 1875), un groupe d’astronomes trouve le moyen de se rendre sur la Lune en expédiant dans l’espace une capsule spatiale grâce à un canon… Une fois sur place, les astronomes-astronautes sont témoins avec émerveillement d’un poétique « lever de Terre », puis font la rencontre des féroces Sélénites, leur valant quelques aventures rocambolesques…
Tout du long de sa durée, exceptionnelle pour l’époque — redisons-le encore une fois —, de 14 minutes, Le Voyage dans la Lune fait preuve d’une inventivité sans égale et d’un grande poésie.
Méliès commence à tourner le film en mai 1902. Les sources divergeant quant au budget du film, je m’abstiendrai de donner un chiffre ici ; il suffit de savoir que la réalisation du film coûta horriblement cher à Méliès !
Les contraintes de tournage à l’époque sont innombrables, au premier titre desquelles, l’émulsion sur la pellicule est très peu sensible : il faut beaucoup de lumière pour obtenir une image nette et claire (et il n’existe pas encore d’éclairage artificiel comme le cinéma en disposera par la suite). Méliès tourne dans le studio jouxtant sa maison de Montreuil mais, même avec des conditions météorologiques idéales, le tournage ne peut avoir lieu que de 11 à 15h…
Par ailleurs, les pellicules sont alors dites « orthochromatiques » ou, pour le dire plus clairement, celles-ci ne sont pas du tout sensibles au rouge, qui apparaît noir à la projection. À l’inverse, la pellicule est très sensible au bleu, qui apparaît très clair et tire vers le blanc. En somme, le rapport de contraste par rapport à notre vision des couleurs s’en trouve complètement bouleversé.
Méliès réalise donc ses décors et ses costumes en teintes de gris, pour maîtriser la gradation des couleurs. Quant au maquillage, il ordonne aux acteurs de se maquiller en noir et blanc, afin de ménager de la transparence pour la colorisation ultérieure (les sous-teintes plus ou moins rouges de la peau apparaîtraient autrement bien trop foncées à l’écran).
Enfin, à cette époque-là, les caméras ne sont pas encore munies d’un moteur pour entraîner la pellicule avec régularité. Il faut donc que l’opérateur caméra tourne précisément 2 tours de manivelle à la seconde pour que la crémaillère fasse défiler la pellicule à une cadence suffisante (plus ou moins 16 img./sec.).
Méliès présente son film au public le 1er septembre 1902… Le succès est immédiat.
Malheureusement, Méliès ne gagnera rien avec ce film (mais se fera une incroyable publicité, qui le fera connaître dans le monde entier), tant Le Voyage dans la Lune sera piraté sans scrupules à travers des copies contre-typées illégalement.
Le film est d’ailleurs disponible soit en version noir et blanc classique, soit en version colorisée. Naturellement, les couleurs n’ont rien de naturel ! La colorisation, répandue pour les films dès 1894, s’effectue image par image, copie par copie, sur pellicule positive. Certains ateliers spécialisés employaient même plus de 200 ouvrières !
Malgré l’ancienneté de la pellicule et les aléas inévitables du temps, nous disposons par chance aujourd’hui d’une extraordinaire version couleur du film, restaurée en 2010 sous l’égide de Serge Bromberg (Lobster Films), qui ont permis de sauver le film d’une dégradation lente et inéluctable. Le travail de restauration, particulièrement long et délicat, comme on peut l’imaginer sur une pellicule de cette époque, a d’ailleurs fait l’objet d’un film, Le Voyage Extraordinaire, de Serge Bromberg, dont je ne peux que chaleureusement conseiller le visionnage à tout cinéphile.
Comment mettre en musique un tel monument du cinéma ?
Comment donc actualiser le film, juste ce qu’il faut, pour permettre au public d’aujourd’hui, et notamment à nos jeunes spectateurs, de découvrir Le Voyage dans la Lune dans toute sa poésie et son importance ?
La technique cinématographique de Méliès est dans ce film encore relativement rudimentaire, directement héritée du théâtre. Les conventions cinématographiques n’émergeront que plus tard, petit à petit, de concert avec les innovations et les audaces des metteurs en scènes.
Dans Le Voyage dans la Lune, la narration se fait exclusivement au moyen de plans larges et d’une caméra fixe, sans coupure au sein des tableaux ; la prise de vues, très théâtrale, avec des toiles de fond évidentes et omniprésentes, confère un aspect scénique en 2 dimensions plutôt qu’une illusion réelle de profondeur ; les ellipses, maladroites, donnent l’impression, illogique dans le contexte, que toute l’action se produit en temps réel, les tableaux se succédant sans discontinuer dès la décision prise de partir sur la Lune ; quant au jeu des acteurs, ne disposant alors d’aucune convention bien établie pour le cinématographe, celui-ci se fait emphatique et suranné.
Autant de marqueurs, pleins de charme, d’une époque reculée où les moyens de filmer n’étaient pas à disposition de tout un chacun, à portée de main dans toutes les poches, dans une qualité inimaginable il n’y a ne serait-ce que 20 ans, et où l’acte de création cinématographique relevait alors véritablement d’une volonté et d’une détermination inébranlables afin de surmonter les nombreuses difficultés inhérentes au tournage.
Mais aussi pleines de charmes soient-elles, ces conventions pourraient rebuter une partie de nos spectateurs modernes, habitués à des conventions désormais bien ancrées dans le langage cinématographique de nos productions plus ou moins actuelles.
À travers le pouvoir évocateur de la musique, j’ai donc choisi de créer une partition qui puisse immerger davantage le spectateur et le faire « entrer » viscéralement dans les scènes, un peu à la manière de ce qu’une plus grande diversité de plans et d’alternances d’échelles de plans pourraient provoquer si le film était tourné aujourd’hui.
J’ai voulu également jouer sur le dépaysement, sans désavouer pour autant les codes de musique de film familiers à nos spectateurs modernes, ni renier un certain humour, omniprésent dans le cinéma de Georges Méliès : je mène la narration, musicalement parlant, tantôt à travers des rencontres évidentes et attendues entre la musique et l’image, tantôt à travers des dissociations, pour accéder à d’autres dimensions plus surprenantes du film.
Ainsi, pour les parties sur la Terre, de part et d’autre du film, mon langage musical reste relativement classique et familier.
Par contraste, la longue partie centrale se déroulant sur la Lune joue la carte de l’étrange, à l’image des paysages lunaires imaginés par Méliès, à travers une écriture musicale faisant appel à des techniques typiquement contemporaines voire « avant-gardistes » (modes de jeu étendus, foisonnement orchestral et démultiplication des plans sonores, abstraction de la partition en opposition avec la partie terrestre, etc.).
À d’autres moments encore, je fais adopter à l’orchestre les atours d’un studio de bruitage.
Ainsi, par cette diversité d’approches, en apparence antinomiques mais unifiées par le film, et qui parviennent à coexistent harmonieusement dans le langage musical que j’utilise tout du long de la partition, je tire parti de toutes les sonorités (classiques, bruitistes ou « contemporaines ») que m’offre un orchestre symphonique de près de quarante musiciens, qui me permettent, par le jeu de l’orchestration et de la mise en scène des éléments musicaux, de ménager alternativement le suspense, la surprise, l’émerveillement, la poésie, le danger viscéral, la joie…
Enfin, nulle partition de musique de film et, plus particulièrement, de ciné-concert, ne serait complète sans synchronisation efficace, pour permettre à la magie des images et de la musique réunies d’opérer.
La partition étant interprétée d’un bout à l’autre dans la continuité, sans coupure possible — contrairement à des séances d’enregistrement, qui permettent le fractionnement —, il a fallu trouver la technique de synchronisation la plus adaptée.
Dans le cas du Voyage dans la Lune, ma partition est synchronisée précisément à l’action. Nous avons donc opté pour une « piste de clics » plutôt que des « punches & streamers », qui permet au Chef et à l’orchestre une synchronisation parfaite à l’image près, sans approximations !
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