Dans un monde où nous aurions percé les secrets des connexions neuronales ; dans un monde où la technologie aurait tellement progressé qu’il nous suffirait de nous connecter en wifi à notre propre cerveau ; dans un monde où la puissance de calcul des ordinateurs serait capable de rivaliser avec le débit colossal des données cérébrales. Écartons les problèmes éthiques et les dérives inévitables de cette technologie ; répondons juste “cela dépend”.
La question était : Quelle serait la place de l’art ?
Problèmes :
- interfaçage
- logiciels capables de capturer tout le flux de pensées (masse énorme !) et les filtrer (images, sons, idées abstraites, émotions, sentiments, etc.)
- capacité de stockage
- possibilités de traitement
- drogues “numériques” (possibilité d’halluciner uniquement par impulsions électriques), possibilité de vivre un film de l’intérieur ou d’entendre une musique directement dans notre tête sans déranger nos voisins, tout cela rien que par l’envoi d’impulsions électriques au cerveau
- programmes permettant de charger dans notre cerveau un savoir, qu’il soit un savoir théorique, émotionnel, ou un savoir-faire
- programmes internes qui s’exécutent dans le cerveau, envoyant un message rien qu’en le pensant (attention à la maîtrise de ses pensées ! pour ne pas envoyer un message par manque de discipline alors qu’il s’agissait d’un fantasme ou d’une pensée parasite)
La question est maintenant : La création artistique deviendrait-elle accessible à Monsieur Tout-le-monde, pourvu qu’il possède le matériel et les logiciels nécessaires ?
Ou bien l’art deviendrait-il plus exigeant ? De nos jours l’art repose en partie sur la capacité à matérialiser une vision mentale et intuitive. Si demain un sculpteur connecte son cerveau à une imprimante 3D et n’a qu’à presser un bouton “Imprimer” pour voir sa vision se matérialiser, quelle serait la valeur de son œuvre alors que son voisin peut en faire autant, sans avoir à apprendre la sculpture ou l’esthétique, juste en chargeant dans son cerveau le savoir-faire, la culture nécessaires et en appuyant sur “Imprimer en 3D” ?
Ou bien : pour obtenir des données filtrables, traitables et une base de travail réaliste (une intuition est floue et peu matérialisable, d’où les tâtonnements des artistes), l’art n’en deviendrait-il pas au contraire infiniment plus difficile ? À celui qui aurait une discipline mentale extrême, une concentration hors-pair combinée à une intuition hors du commun pour produire une image, une idée ou des sons suffisamment clairs pour être transposables de façon tangible avec le minimum d’interférences, et produire en fin de compte autre chose qu’un amas de flou informe ? Quel artiste parvient à concilier l’intuition et l’inspiration avec la rigueur inhumaines de ne devoir penser à rien d’autre ? Je ne sais pas pour vous, mais chez moi il y a toujours une foule d’idées, de sons, de couleurs, de sensations, de formes et d’abstractions qui flottent comme des fantômes dans ma tête puis disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus. Parfois pas.
Mais l’art ne serait-il pas alors connecté lui aussi ? Un art qui n’aurait pas de réalité tangible dans le concept actuel que nous avons de la réalité (qui n’aurait alors plus le même sens), un art que l’on se passerait de cerveau en cerveau.
Rien n’est définitif.