Nous parlerons d’énergie : le son n’est rien d’autre que des ondes sonores, autrement dit un mouvement dans un milieu élastique. Sans ce mouvement (par absence d’impulsion ou par absence d’élasticité du milieu), les ondes sont inexistantes. Plus il y a de mouvement, plus il y a d’énergie perçue. Dans un orchestre, le nombre de musiciens multiplie l’énergie globale disponible de ce que l’on pourrait appeler “l’instrument orchestral” par rapport à un instrument soliste.
Venons-en au fait : lorsque vous orchestrez une pièce de musique ou que vous écrivez pour un effectif instrumental assez fourni, il convient de garder à l’esprit une spécificité orchestrale : L’inertie, pratiquement inexistante dans une pièce pour instrument solo ou pour une toute petite formation, devient un élément palpable qu’il convient de prendre en compte dans l’écriture orchestrale. L’orchestre est donc davantage tributaire de l’inertie du jeu collectif, mais en contrepartie plus mouvant dans ses possibilités.
Cette inertie réduit de fait l’amplitude des tempos possibles : pour obtenir la même énergie, une pièce rapide peut être jouée plus lentement à l’orchestre, la puissance orchestrale, combinée à une meilleure mise en place, compensant pour les crans de métronome perdus. À l’inverse, une pièce très lente est très difficile à jouer en place, à cause de l’imprécision des attaques, de la différence d’attaques entre les familles d’instruments (attaques plus ou moins directes) et du décalage entre le geste du chef d’orchestre et le jeu réel des musiciens, sans oublier parfois la sensation de “jouer sur des œufs” du côté des musiciens ! C’est pourquoi les pièces lentes sont généralement mieux exécutées un peu plus rapidement.
En pratique, pour l’orchestration d’une pièce pour piano par exemple, il vous suffit de vous imaginer face à un orchestre puis dans différent pupitres, et de vous demander si le tempo original est raisonnablement adapté pour le nouveau médium. Si ce n’est pas le cas, modifiez-le légèrement puis refaites ce test mental jusqu’à trouver le meilleur compromis. (De toute façon, le chef d’orchestre adaptera le tempo au niveau de l’orchestre, à son propre niveau, et à sa vision de la pièce, mais mieux vaut dès le départ être le plus clair possible vis-à-vis de “votre” vision pour éviter les mauvaises surprises.)
Lorsque vous composez directement pour orchestre, de même, il vous faut réfléchir à la puissance orchestrale et à l’énergie que vous souhaitez dégager dans les différents passages : souvent, l’écoute intérieure, moins puissante et convaincante qu’un orchestre réel, vous fait entendre la pièce plus rapidement que nécessaire pour obtenir une dose d’énergie donnée. Comme vous n’êtes pas tributaire de l’œuvre d’un autre, votre marge de manœuvre est cette fois plus étendue que précédemment. Vous pouvez alors apporter des modifications plus en profondeur si nécessaire.
Quoi qu’il en soit, et particulièrement en musique de film, où le tempo est critique pour la synchronisation, ne négligez pas ce paramètre du rapport énergie/tempo-d’exécution ! Celui-ci peut être tellement trompeur…
Pour terminer sur une petite anecdote, je me souviens d’une interview de Don Davis, qui racontait que dans une séquence de la trilogie Matrix, la musique accélérait régulièrement, par palier. À un moment donné, l’orchestre n’était plus en mesure de jouer encore plus vite. Ils ont donc enregistré la section en gardant le même tempo puis accéléré l’enregistrement pour correspondre au timing et à l’intention musicale !