Dans cet article, nous allons parler de la gestion de la difficulté des parties instrumentales dans une orchestration.
Tout d’abord, et quitte à être à contre-courant de ce que certains compositeurs et orchestrateurs pensent et prônent, je souhaiterais vous avertir du danger d’écrire des parties instrumentales faciles à tout prix. Je parle ici en tant que violoncelliste d’orchestre, des parties trop faciles, des ploum-ploums, ou un concentré de tenues interminables, sont un moyen très sûr d’ennuyer les instrumentistes, de les désinvestir de la musique que vous leur proposez, et de les pousser à adopter par conséquent un style “fonctionnaire” — ce qui est dérangeant, lorsqu’il s’agit de musique. Un violoncelliste préfèrera souvent jouer du Beethoven que du Mozart, allez savoir pourquoi…
Les musiciens ont besoin de challenge, ils ont besoin d’être mis en valeur, et en tout cas d’avoir “des choses à jouer”. Il m’est arrivé de jouer au pupitre de violoncelles des œuvres remarquables, mais dépourvues d’intérêt quant à leur seule partie de violoncelle. La réaction ne s’est pas faite attendre : autour de moi mes collègues ont commencé à dire avec ennui “Mais en fait, on n’a rien à jouer !”
Il arrive, dans certaines œuvres, que le nombre de mesures à compter, ainsi que la propension à avoir des tenues nombreuses et peu variées, ne dérange pas trop. Mais il s’agit vraiment d’exceptions : les mouvements lents de Beethoven (la Marcia funebre de la Symphonie n° 3 — “Héroïque”, le deuxième mouvement du Concerto pour violon), Pelléas et Mélisande de Debussy. De même, le dernier mouvement de la Symphonie n° 3 de Mahler (décidément, j’aime les symphonies n° 3 !). Les harmonies dans ces œuvres sont tellement belles, que c’est tout aussi fantastique d’écouter l’ensemble dans les mesures à compter, et de jouer des tenues pour soutenir la musique, que d’avoir le thème ou le motif principal. Vous pourrez également noter, qu’à un moment ou à un autre, dans les œuvres précitées, chacun a la possibilité de s’exprimer, même de façon transitoire.
Cela dit, dans Pelléas, je suis à peu près certain que les trompettistes doivent s’ennuyer ferme, en particulier pendant les répétitions : peut-être deux minutes à jouer au total, sur près de trois heures de musique. Par contre, au moment de jouer, obligation d’être juste, malgré l’instrument et les lèvres froides !…
Dans l’ensemble, les instrumentistes de la famille des cuivres ont tendance à avoir des parties clairsemées et ennuyeuses, confinées au soutien des grands tutti orchestraux (je pense aux trombones par exemple). Malheureusement pour eux, lorsque c’est à leur tour de prendre la parole enfin, on leur demande (et à raison) de jouer moins fort, pour ne pas couvrir tout l’ensemble ! C’est forcément frustrant. Le problème est déjà moins flagrant pour les bois.
Je recommanderais donc, autant que possible, de traiter tous les instruments de façon intéressante, même dans les contrechants secondaires. Si les parties individuelles sont déjà riches et captivantes, cela en rendra l’ensemble d’autant plus vivant, et tout le monde aura l’occasion d’avoir “son” moment. Je pense notamment aux trombones, au tuba, et parfois aussi, à la percussion.
Chaque instrument est beau, chaque instrument a des ressources expressives (et non-expressives) qui lui sont propres, alors autant profiter de la diversité orchestrale, et offrir un rôle de premier plan à tous. Vous le découvrirez dans quelques prochains articles, je considère Mahler comme l’un des orchestrateurs les plus fins, probablement plus encore que Ravel et Debussy, et je vous montrerai bientôt pourquoi.
Il est toutefois évident que, dans certaines circonstances, la difficulté doit être utilisée avec modération. Petite liste non-exclusive : si vous écrivez pour un orchestre amateur ou de 2è Cycle, et si vous disposerez de très peu de temps pour répéter, en particulier si les musiciens déchiffreront sur place — dans ces cas-là, modérez-vous !
Si vous avez la chance de pouvoir compter sur d’excellents musiciens, alors écrivez-leur des passages intéressants, voire non-conventionnels, rencontrez des musiciens le plus tôt possible durant l’écriture, demandez-leur de vérifier vos parties, de vous faire des démonstrations (une caméra est alors très utile), de vous proposer des alternatives. Bref ! Faites-les participer à votre musique, car ils seront votre tout premier public, qui plus est le public-interprète de votre œuvre, et s’ils s’en sentent proche, cela leur sera d’autant plus facile et agréable de jouer votre œuvre.
Si je devais ajouter une dernière chose, je dirais que si vous avez la chance de jouer d’un instrument bien représenté dans les formations orchestrales, essayez de jouer en orchestre, pour vivre vous-même cette expérience. Pour ma part, si j’aime autant l’orchestre et l’orchestration, c’est aussi parce que j’aime tout autant jouer en orchestre qu’écrire pour : cela m’apporte un regard nouveau sur les œuvres travaillées, cela me fait découvrir du répertoire que je sous-estimais auparavant, et surtout, cela me permet de vivre la musique. Jouer en orchestre est bouleversant.