En tant que violoncelliste, je ne compte plus le nombre de créations que j’ai vu passer, réalisées avec une partition copiée à la va-vite, ou si cela se trouve, peut-être même pas à la va-vite ! mais graphiquement brouillonne, inharmonieuse…
L’un des prérequis, pour une partition de musique, doit être la lisibilité. Je répète : L’un des prérequis, pour une partition de musique, doit être la lisibilité. En musique écrite, la partition est censée permettre au musicien de se repérer aussi aisément que possible, dans ce que l’on pourrait comparer à une carte routière (Jean Poiret et Michel Serrault y avaient d’ailleurs déjà pensé…). Une œuvre musicalement remarquable peut devenir pénible pour le musicien si la partition ne satisfait pas à un niveau minimum de qualité. Il en est en copie musicale comme en (presque) toute chose : un bon travail aura tendance à passer inaperçu, alors qu’un mauvais travail de copie deviendra au contraire cauchemardesque pour vos musiciens !
Je me suis très souvent trouvé en situation de jouer au violoncelle des pièces en création ou en deuxième ou troisième audition, et je ne connais malheureusement pas d’exception : toutes les partitions étaient graphiquement “vides” (ici aucune allusion n’est faite à la qualité intrisèques des œuvres, on se contente de parler du côté graphique de la copie musicale, même pas du manuscrit ou des choix de notation du compositeur). Pas de personnalité, pour certaines, extrêmement brouillonnes et à la limite du lisible, pour d’autres : Bref ! du travail d’amateur, fait “en gros”, sans raffinement, sans style. C’est normal et même attendu, dirais-je, vu le peu de considération apportée à la notation musicale pendant les cursus en conservatoire.
Problème aggravant : avec la popularisation des micro-ordinateurs, la copie musicale devient à la portée de tous, mais en théorie seulement, car quel que soit le logiciel de notation musicale qui est le vôtre, que vous utilisiez Finale, Sibelius, Encore, Score, Berlioz, LilyPond, NoteAbility Pro ou je ne sais quel autre encore, l’œil et le bon sens restent des éléments indispensables, à marier avec beaucoup de perfectionnisme, et encore davantage de patience !.
Déjà, les logiciels — peut-être LilyPond mis à part — n’ont qu’une implémentation technologiquement bien imparfaite des règles de gravure musicale, art tellement raffiné et subtil, qu’il nécessite l’intervention humaine pour atteindre des sommets. Il convient donc de connaître les règles, innombrables, un bon début pourrait être le site de l’Association des Éditeurs de Musique des États-Unis.
À cela, il convient d’ajouter vos propres règles, pour vous créer un style : par exemple, personnaliser dans Finale les polices d’écriture utilisées selon les signes, les textes, etc. Dans une partition d’orchestre, définir si vous optimiserez les portées vides ou pas (ce que je conseille dans la plupart des cas, sauf peut-être pour la musique de film où tout doit être lu immédiatement sans avoir le temps pour le chef d’étudier le conducteur, ainsi que pour les pièces à petite formation, avec seulement quelques portées). Hiérarchiser l’emploi des crochets, accolades, etc. Aligner parfaitement les crescendo/diminuendo lorsque plusieurs portées ont les mêmes variations de nuances, les commencer et les terminer précisément à l’endroit souhaité. Utiliser le minimum de lignes pour les portées de percussion à sons indéfinis.
Bref, beaucoup de points sur lesquels réfléchir, probablement une évolution constante, mais étant donné que le compositeur doit malheureusement copier de plus en plus ses partitions lui-même, mieux vaut connaître un minimum le métier de copiste pour créer des partitions d’exception — et si vous pouvez vous offrir le luxe de faire copier vos partitions de musique, vous saurez comment choisir un copiste, et quoi exiger (dans la limite du raisonnable, cela va de soi) ! Une fois encore, un détail j’en conviens, mais s’y tenir vous place instantanément au-dessus du lot.
Ceci étant dit, il est parfaitement compréhensible, dans les cas d’un planning serré, de livrer des partitions correctes mais sans plus. Je pense notamment à la musique de film et plus généralement à la musique commerciale et aux musiques à l’image. À l’inverse, une partition tout juste acceptable est irrecevable dans le cas d’une œuvre destinée à être répétée pour un concert, voire éditée.
On pourrait donc dire, un peu pompeusement, que la “copie musicale” c’est l’utilitaire, c’est réaliser des partitions correctes, alors que la “gravure musicale”, c’est de l’art, c’est (plusieurs) niveaux au-dessus !