“Margaret’s Music”, un roman de l’auteur suédois Martin Skogsbeck mêlant composition musicale et intelligence artificielle
Avertissement
J’ai été consulté par l’auteur sur certains détails du livre, et j’ai participé à la relecture de l’ouvrage dont il est ici question. L’auteur n’a eu aucun droit de regard sur ce billet, et je vous donne mon avis tel qu’il est.
D’autre part, n’étant pas affilié Amazon, je ne perçois aucune commission sur les ventes réalisées en suivant les liens donnés dans le présent article (ni d’ailleurs par quelque autre canal de vente que ce soit). Les liens en question ne sont donnés qu’à titre indicatif, pour des raisons de commodité envers le lecteur de ce billet.
Introduction & Résumé en Français
Margaret’s Music, le nouveau roman de l’écrivain suédois Martin Skogsbeck, vient de paraître en ce début avril 2024, en langue anglaise uniquement (malheureusement, pour ceux qui ne lisent que le français).
La gestation de cette œuvre, entamée il y a longtemps déjà, aura permis à l’auteur la mutation et la maturation de certaines de ses idées pour le meilleur, tant le propos colle aux préoccupations qui nous sont si actuelles aujourd’hui…
Jugez plutôt (résumé officiel traduit en français) :
« Margaret est une jeune compositrice ambitieuse, tout juste diplômée du Conservatoire de Paris. Elle rencontre David, un Anglais énigmatique vivant à Zurich et passionné de musique classique. Il passe commande à Margaret, proposition trop tentante pour qu’elle puisse refuser. Mais à son insu, David a mis au point une méthode clandestine et encore inexplorée d’utilisation de l’IA pour perfectionner la composition de musique.
Avec l’aide secrète de David et d’Igor, partenaire de David et pirate informatique de classe mondiale, Margaret rencontre le succès, mais à quel prix ? Peut-elle compromettre sa vocation artistique et continuer à jouir du style de vie d’un célèbre compositeur ? »
Martin Skogsbeck, Auteur Suédois
Si Martin Skogsbeck avait voulu orchestrer la parution de son livre, il n’aurait pu mieux s’y prendre, tant l’actualité de ces dernières semaines évoque fortement David et son plan infernal ! Mais commençons par le début, car je reviendrai bientôt sur ce point.
Du côté de l’auteur, Martin Skogsbeck, d’origine Suédoise, n’en est pas à son coup d’essai. Margaret’s Music est déjà son troisième roman. Il fait ses débuts avec Destructive Interference (2012), dans lequel certains de ses personnages pratiquaient déjà la musique de chambre, avant de poursuivre deux ans plus tard avec Spinoza in Love (2014), qui comblait de manière romancée les trous dans la biographie de Spinoza en imaginant sa vie, tout en se servant du prétexte du roman pour exposer certains préceptes de la pensée de Spinoza de manière accessible au profane.
Une Synchronicité Troublante avec les Actualités
Changement de cap, donc, avec ce troisième roman. Il y est question de musique, d’intelligence artificielle, le tout dans une ambiance d’anticipation (son premier roman était déjà un roman d’anticipation, ceci dit).
Et quel hasard, ou plutôt, quelle ironie du calendrier, que la sortie de Margaret’s Music coïncide, à quelques jours près, avec le dévoilement par certaines entités d’un certain service de génération de musique par intelligence artificielle… Ou quand la réalité rejoint la fiction. Cette synchronicité troublante n’en rend la lecture que plus intrigante… et provoque également un certain malaise chez le lecteur ! Comme si Martin Skogsbeck, omniscient comme son personnage David, l’avait senti venir…
Le Roman
Le livre en lui-même se lit agréablement (pour qui possède un niveau correct d’anglais), à l’image de ses précédents romans, même si les personnages passent à mon goût un peu trop de temps à table à détailler le menu ! (Je n’ai rien d’un gourmet, surtout par mots interposés.) Ce n’est qu’un détail et, après tout, les scènes de discussion autour d’un déjeuner ou d’un dîner d’affaires font avancer l’action dans le livre, tout comme elles font avancer les affaires et les carrières dans le monde réel (même musical).
Côté musique et plus particulièrement composition, lors de la phase de documentation, l’auteur m’avait demandé de lui fournir certains détails, afin de doter son histoire d’un niveau satisfaisant de crédibilité (et vous reconnaîtrez sans peine certains clins d’œils relativement évidents), même s’il a bien sûr pris les libertés nécessaires avec la réalité afin d’offrir un roman plus intéressant à son lecteur. Histoire de ne pas être taxé de complaisant, je vais toutefois m’efforcer d’être sans doute plus sévère qu’il ne le faut dans ma critique.
Dans l’ensemble, j’ai trouvé le niveau de véracité bien meilleur que dans la plupart des films par exemple qui traitent de création musicale.
C’est peut-être un peu moins crédible quand il y est question du coût de la vie parisienne pour une jeune artiste, mais notons que le roman se déroule dans un passé proche mais pré-covid, et que l’inflation incontrôlée de ces dernières années me fait peut-être oublier la réalité qui l’a précédée.
Côté personnages principaux, je n’ai pas réussi à m’attacher à l’héroïne, la Margaret du titre, fort peu sympathique, et qui m’a agacé rapidement. À cet égard, ni David ni Igor ne suscitent beaucoup d’empathie non plus. Mais tel n’est pas l’objet du roman, puisqu’il s’agit d’une histoire très faustienne…
Venons-en aux points de vue sur la musique contemporaine dans leur ensemble. Pour ma part, je les ai trouvés très manichéens. Ils représentent bien sûr les points de vue de ses personnages, et sont nécessaires pour faire avancer l’action, mais les personnages sont péremptoires et dépourvus de toute capacité à se remettre en question.
J’aurais toutefois aimé une vision plus nuancée, peut-être à travers la bouche d’un personnage un peu plus secondaire, voire totalement satellite, histoire de montrer que l’auteur avait considéré l’existence de ces points de vue divergents en leur accordant une place, même minimale, malgré ses personnages principaux enfermés dans une vision de la musique contemporaine étriquée (et ici délibérément voulue par l’auteur). Les aspects techniques et philosophiques sont à mon goût un peu trop effleurés.
J’ai trouvé aussi que la résolution arrivait un peu vite (avec notamment une situation que l’on sent venir 100 pages avant qu’elle ne se produise) par rapport à la lente avancée des pièces sur l’échiquier, que j’ai trouvée à l’inverse progressive et plutôt habile.
En effet, la construction des manigances de David est distillée savamment, en particulier la partie « montage de l’affaire » et l’évocation des structures de sociétés avec tous les aspects juridiques et financiers. On sent que Martin Skogsbeck a mené une carrière dans les affaires avant de se consacrer à l’écriture, et le roman n’en est que plus prenant sur ces aspects-là.
Du côté de la technique, avec la technologie mise en place en revanche, il m’a semblé que tout se déroulait avec un peu trop de facilité, tant David et Igor ne rencontrent pas assez d’écueils et d’obstacles, alors que quiconque a déjà eu à développer un programme informatique, même trivial, sait que les difficultés inattendues sont inévitables.
Ici en l’occurrence, leur projet est loin d’être une affaire triviale — mais le roman est déjà suffisamment long (384 pages), et il s’agit probablement d’une volonté de le garder en-deçà des 400 pages, justifiant ce recours à quelques raccourcis scénaristiques pour épargner la patience du lecteur. Quoi qu’il en soit, David et Igor parviennent à mettre au point leur système qui, l’actualité nous le démontre en ce moment, n’est plus forcément cantonné à la fiction (alors que Martin Skogsbeck a entrepris ce roman il y a des années, il a résolument fait preuve d’un esprit visionnaire à ce sujet).
Bref, après toute cette mise en place, j’aurais donc attendu un peu plus de développement, peut-être dans un deuxième tome, tant le sujet s’y prêtait et qu’il y avait matière à élaborer encore beaucoup d’intrigues. Mais c’était une volonté de l’auteur de clôturer son roman de cette façon.
Quoi qu’il en soit, et même avec ces quelques réserves, l’auteur nous montre qu’il a réfléchi à son sujet, et qu’il a échafaudé un plan machiavélique entre les mains de David, qui fleure presque la véracité.
Conclusion
Pour moi, Margaret’s Music est donc un roman qui brille avant tout dans les questionnements qu’il soulève, directement ou indirectement : Quel est et quel doit être le rôle de la musique contemporaine ? Quels compromis les artistes sont-ils prêts à faire pour rencontrer le succès et mener une vie facile ? Quelle est la place de l’Intelligence Artificielle dans la création musicale ? Est-ce d’ailleurs encore de la création ? La création est-elle d’ailleurs réellement plus facile en se faisant assister d’une Intelligence Artificielle ? Et sans renouvellement de la création musicale par de vrais humains sans algorithmes informatiques, à partir de quand la composition musicale/création de musique augmentée à l’Intelligence Artificielle commencerait-elle à tourner en rond ? Et l’on pourrait continuer ainsi assez longuement.
J’ai par ailleurs beaucoup aimé la mise en place minutieuse du plan de David, même si j’aurais voulu que Martin Skogsbeck creuse encore un peu plus, une fois le système échafaudé et mis en place.
Pour conclure, résumons ce que j’ai pensé du livre : J’ai trouvé Margaret’s Music divertissant et intéressant dans ses rouages et dans les questionnements qu’il suscite, un peu moins dans son manichéisme sur la musique contemporaine (Sur le sujet, je ne peux que défendre ma chapelle, s’il le faut tous becs, griffes et ongles dehors !). Dans tous les cas, ce roman a le potentiel de nous faire réfléchir et anticiper peut-être ce qui risque de devenir une réalité d’ici peu… à moins que la réalité n’ait déjà rattrapé le plan diabolique de David… Et c’est en cela que le roman fait très fort.