NOTE : Cet article concerne en particulier les musiques classique et contemporaine, particulièrement les effectifs instrumentaux de taille moyenne ou importante. Le jazz utilise d’autres standards.
À force de jouer en orchestre et d’écrire des partitions, j’ai développé certaines préférences de copie musicale, que j’ai regroupées dans un document pour référence rapide. Ce document est bien entendu incomplet et n’aborde pas les détails ; je l’ai rédigé progressivement au fil des années, avant la lecture de Behind Bars d’Elaine Gould, donc certaines préférences n’engagent que moi. Toutefois, toutes ces recommandations ont mûri au cours de quinze ans de pratique musicale des deux côtés du pupitre, et puisque j’ai actuellement l’occasion de travailler partiellement comme copiste musical, voici ces spécifications :
Spécifications concernant les règles de gravure musicale
Polices d’écriture texte
La police d’écriture texte ne sera jamais Times New Roman, mais une autre police, pourvu qu’elle ne soit pas fantaisiste (usage réservé au titre si cela convient au contexte) et lisible.
Numéros de mesures
Sur le conducteur, les numéros de mesures doivent apparaître non pas au début de chaque système, mais encerclés et centrés, en-dessous de chaque mesure. En aucun cas la partition ne doit être numérotée toutes les 5 ou 10 mesures, ce qui est anti-musical au possible !
Sur les parties séparées, selon les conditions, soit faire apparaître au début de chaque système, soit, lorsque le temps de répétition/enregistrement est un facteur critique, en-dessous de chaque mesure, centré sous la barre de mesure. Le cercle est optionnel est peut être un facteur de surcharge de la partition.
Repères
En plus des numéros de mesure, il convient de placer des repères aux articulations de l’œuvre, en début de mesure, encadrés, en haut du système, et éventuellement au-dessus des cordes. Attention, dans les parties séparées, en cas de repère placé dans une plage de silences, il convient de « casser » le regroupement des mesures à compter afin de faire apparaître sans équivoque le repère !
Pour l’attribution du format des repères, il convient de considérer la longueur de la pièce : pour les œuvres nécessitant au maximum 26 repères, il est préférable d’utiliser des lettres pour éviter toute confusion avec les numéros de mesures. Dans le cas d’œuvres longues (opéras), il faut utiliser des chiffres : dans ce cas, la différentiation avec la numérotation des mesures se fait avant tout par le placement au-dessus du système et le cadre rectangulaire, mais il n’est pas rare qu’en répétition confusion ait lieu lorsque le chef d’orchestre demande de reprendre « à 36 » : à la mesure 36 ou au chiffre 36 ?
Indicateurs de mesures
Sur les conducteur, les indicateurs de mesures doivent apparaître en plus gros, pour permettre une meilleure lisibilité, et jamais uniquement en haut du système comme on le voit parfois. Les très gros indicateurs, étirés, utilisés parfois en musique de film, sont assez perturbants, et il vaut mieux leur préférer une version intermédiaire entre des indicateurs de mesure strictement contenus dans la portée et des indicateurs gigantesques.
Sur les parties séparées, les indicateurs de mesures doivent également apparaître en plus gros.
Épaisseur de trait
Il est important de différencier l’épaisseur de trait des queues de notes et barres de mesures : pour la lisibilité, les barres de mesure doivent être plus épaisses que les queues de note. L’épaisseur des portées est également variable, mais la différentiation épaisseur des queues de notes/épaisseur des barres de mesure suffit généralement.
Hiérarchisation des crochets
Il convient de hiérarchiser les crochets comme suit (préférence purement subjective) :
- un crochet à pattes pour définir les grands groupes, y compris les instruments orphelins ! (sauf harpe et claviers)
- au deuxième niveau un crochet simple pour indiquer un même instrument (piccolo-flûte-flûte alto/hautbois-cor anglais/petite clarinette-clarinette-clarinette basse/basson-contrebasson/cors 13-24/trompettes 1-23/trombones ténor 12-trombone basse). Les violons I et II font exception : on utilise une accolade
- au troisième niveau, une accolade (par exemple clarinette 1-clarinette 2)
Étiquettes des portées
Il est crucial de bien faire apparaître, non seulement les noms des instruments, mais aussi dans le cas d’une portée divisée, le numéro des instrumentistes qui s’y rattachent, dans l’ordre utilisé : si le hautbois 1 partage la portée avec le hautbois 2 et que le hautbois 1 est écrit au-dessus du hautbois 2, l’étiquette “Hautbois” doit apparaître centrée devant la portée, un 1 légèrement décalé vers le haut, et un 2 légèrement décalé vers le bas.
S’il est préférable que les noms des instruments soient indiqués en toutes lettres sur la première page, il est courant de n’utiliser que les abréviations dans les autres pages. En revanche, précisez sur chaque page la tonalité des instruments transpositeurs s’il existe différents modèles (clarinette en sib ou en la, trompette en sib ou en do, petite trompette en ré, etc.) Il n’est en revanche pas indispensable de préciser “Cor Anglais en fa”, “Cor en fa” ou “Flûte Alto en sol” si aucune ambiguïté n’est possible. Attention, notamment si vous utiliser des instruments peu courant, à ce qu’aucune abréviation ne soit similaire à une autre !
Optimisation
En règle générale, il convient d’optimiser (cacher) les systèmes avant la mise en page. Cette règle se nuance toutefois pour les petits ensembles, ou lorsque le temps est un facteur critique (musique de film), auquel cas il est plus aisé de se repérer d’une page à l’autre si les systèmes correspondent strictement (cf. ma partition pour le ciné-concert Nosferatu). De plus, il faut utiliser le minimum de portées possible : lorsque deux instruments à vent jouent en homorythmie, une seule portée est nécessaire pour noter deux voies. Au-delà, une deuxième portée est requise. Si les parties entraîneraient une confusion à être notées sur une seule portée, il faut alors employer deux portées. Quoi qu’il en soit, dès que les divisions prennent fin, la portée additionnelle doit rejoindre la portée initiale.
Parties séparées
Parties séparées
Les parties séparées doivent être tirées comme suit :
- Le conducteur peut être en écrit en ut dans le cas de la musique commerciale, de la musique à l’image, et dans toute situation où le temps est critique, pour permettre au chef de lire directement les notes réelles. Dans tous les autres cas, il est préférable que les parties apparaissent transposées, ce qui permet au chef d’avoir exactement la même partie que l’instrumentiste sur sa partie séparée transposée.
- une partie différente pour chaque instrument à vent (obligatoirement transposée), toujours dans la limite de deux portées par partie séparée (sauf dans certains cas où il est préférable de mettre les parties instrumentales dans la même partie séparée, notamment lorsque les exécutants jouent une partie assez proche)
- toutes les percussions (hors timbales, qui sont toujours indépendantes) doivent apparaître sur la même partie pour permettre des aménagements dans la répartition
- Les parties de percussion doivent comporter en en-tête ou en feuille annexe obligatoirement jointe à la partition, toute la liste des percussions utilisées par chaque poste, et le cas échéant les requêtes spécifiques (baguettes spéciales ou autre)
- pour plus d’informations sur la bonne façon de tirer des parties de percussion, se référer aux ouvrages de Marc-Olivier Dupin et James Holland)
- les violons I et II sont toujours indépendants
Mise en pages de base
- En en-tête de chaque partie séparée, bien clairement, le nom de l’instrument, le cas échéant les instruments utilisés (Flûte 1 aussi Petite Flûte, Hautbois 2 aussi Cor Anglais, etc.), de préférence dans un encadré.
- Chaque page de chaque partie séparée doit contenir (en général en haut au milieu), clairement, le nom de la partie séparée. Il convient de penser aux feuillez volantes ou aux photocopies remises aux musiciens, qui ont vite fait de se mélanger.
- Les numéros de page, en général en haut ou en bas, en vis-à-vis (intérieur-extérieur).
- Avant l’avènement de l’ère informatique et la généralisation de l’usage des micro-ordinateurs pour la copie musicale, les partitions étaient gravées (pour l’édition) ou copiées à la main (musique de film, musique de concert exceptionnel, et globalement pour tout autre usage que pour l’édition). Les partitions étaient généralement plus denses, sur une page donnée plus d’information était présentée, ce qui permettait de lire beaucoup plus facilement en avance, et de sauter beaucoup moins de ligne en ligne et de page en page pour le musicien ! On peut d’ailleurs penser à certains matériels d’orchestre gravés à l’époque et que récemment les éditeurs ont fait refaire informatiquement : la différence de lisibilité, criante, n’est malheureusement pas en faveur de l’informatique (je ne citerai pas le nom de la partition à laquelle je pense)… Malgré ces avantages, il convient de noter que parfois les systèmes étaient trop peu espacés : pour un musicien d’orchestre, particulièrement pour les cordes, il est important d’avoir suffisamment d’espace entre chaque portée pour indiquer des coups d’archet, des doigtés et n’importe quelle autre indication qu’il jugerait utile ; autrement, la partition devient vite confuse.
Divisions
- Aux cordes, il convient de diviser en plusieurs portées dès que le nombre de notes d’un accord ou de voies dépasse deux. Mais il est indispensable (oui, je le dis car j’ai déjà vu cela) qu’à l’exception des partitions dans lesquelles chaque instrumentiste tient une partie indépendante (donc solistes), toutes les divisions d’un pupitre apparaissent sur la partition : les musiciens à cordes sont habitués ainsi, et il est très fréquent de changer les divisions, selon le nombre de musiciens disponibles dans le pupitre, selon les préférences du chef ou d’autres considérations.
- Si plusieurs portées sont incluses dans une partie séparée, toujours les relier avec un crochet, car visuellement cela sépare mieux les systèmes des portées.
Format de papier
Pour les parties séparées, le format de papier doit être standard et facile à photocopier : en théorie les parties séparées gagnent à être sur des pages légèrement plus grande que le A4 mais en pratique, ces partitions s’avèrent difficile à ranger, se cornent, et sont plus difficiles à photocopier (certains orchestres ne laissent pas les musiciens emporter les originaux chez eux). Pour le conducteur, le format de papier le plus répandu est le format A3. Il est vrai que la partition du Requiem de Ligeti, en forme de baguette de pain doit être très difficile à photocopier, mais pour le chef qui l’achète c’est un cauchemar à transporter, il faut plier la partition. Je pense aussi à d’autres aberrations comme des pièces pour instruments solo, imprimées sur du A2 ou plus grand (Grisey ?)…
Tournes de pages
Dans les parties séparées, il est impératif de gérer convenablement les tournes de pages ! Au besoin, ne remplir la page qu’avec quelques systèmes pour permettre une tourne à un silence. Pour les cordes, ce critère est moins important : toutefois, éviter de placer une tourne générale à la fin d’un mouvement, dans un point d’orgue piano, ou à tout autre moment où le bruit des tournes romprait la musique.
Mesures répétées
Dans les parties séparées, lorsqu’un ostinato sur une ou deux mesures se répète sur une longue période, il convient de numéroter les répétitions au-dessus, sans encerclement, pour aider le musicien à se repérer. Par ailleurs, lorsque la répétition on un élément très proche s’étend sur plusieurs systèmes, il convient de légèrement décaler les barres de mesure d’un système à l’autre pour permettre au regard de différencier plus facilement le système en cours et d’éviter de sauter des systèmes ou de partir dans une boucle ! Dans tous les cas, il est préférable d’éviter l’usage du symbole % ou pire, 2//2, car bien souvent, notamment pour une formule un peu compliquée ou se répétant sur plusieurs lignes, le musicien se perd ou finit par hésiter.
Périodes de silences, répliques & “à défauts”
Sur les parties séparées, il convient de donner des repères aux interprètes lors de longues périodes de silences, en leur indiquant des répliques. Le choix des répliques doit se faire de façon pertinente, par rapport non seulement au discours musical, mais aussi à la proximité du musicien et de la réplique envisagée. De même, lorsqu’il y a des doublures, il peut être très utile d’indiquer sur la partie séparée “avec hautbois” ou “col hautbois”. Cela permet d’aiguiller l’écoute de l’instrumentiste. Une réplique est une aide fournie à l’instrumentiste pour suivre la partition et se repérer, alors qu’un à défaut est une phrase musicale fournie, non pour donner un repère, mais pour remplacer un autre instrument dans l’éventualité où celui-ci ne serait pas disponible dans l’orchestre.
P.S.: La partition qui figure en en-tête de cet article est la première page de mon duo pour 2 violoncelles “Lucioles”.