Du travail et de la discrétion :
Travaillez beaucoup. Mais ne le montrez pas. Ne vous en cachez pas, faites seulement preuve de discrétion. Si l’on vous pose des questions à ce sujet, répondez honnêtement sans en rajouter ni minimiser, mais ne faites jamais remarquer tout le travail impliqué (ceci est valable pour le côté artistique, pas commercial, donc ne s’applique pas aux négociations de contrat). Donnez l’impression par votre discrétion que la maîtrise, que vous avez acquise, est la chose la plus naturelle au monde et que nul travail n’entrave la spontanéité de l’instant.
Un musicien qui travaille beaucoup et dont on voit, entend ou sent le travail est un bon technicien. Un musicien qui travaille beaucoup et qui, par son aisance discrète fait oublier la difficulté de son art n’est pas seulement modeste, c’est aussi un bon musicien.
C’est sans doute la raison pour laquelle je déteste les notices d’œuvres censées en expliquer le cheminement ou la démarche, pratique fort répandue de nos jours. Il me semble que, si sur le fond, le contenu peut être parfaitement intéressant, sur la forme les compositeurs font souvent preuve d’une platitude et d’une froideur presque effrayants, les mots n’étant que rarement pour eux un moyen de communication efficace (on peut à ce sujet se référer avec intérêt à l’ouvrage de Stephen King, On Writing, qui peut, par certains principes, se transposer à la musique). Laissons les mots aux vrais écrivains et penseurs, ils nous laissent bien nos portées musicales et nos notes de musique !
Vous l’aurez compris, par notice je ne parle que des textes introductifs, pas des lexiques ou guides de notation, essentiels pour les interprètes.
D’autre part, si une œuvre nécessite la connaissance préalable de « clés de compréhension » pour en favoriser l’appréciation, je crois qu’elle contredit fortement ce principe de travail/discrétion/spontanéité-apparente (étant entendu : « si vous y souscrivez »). Laissons les personnes intéressées et touchées par votre musique se lancer elles-mêmes dans leurs recherches. Au cours de leurs investigations, oui bien sûr vous pouvez leur donner les clés qu’elles vous demandent, ou plus exactement leur entrouvrir la porte, mais les « forcer » à subir votre baratin tiré par les cheveux ne peut provoquer dans la plupart des cas qu’un intérêt superficiel voire contraint. De nos jours il est tellement facile avec Internet de laisser à la disposition de tous des informations qu’ils pourraient trouver utiles.
Un tel article est bien entendu contradictoire par rapport au message qu’il tente de véhiculer, mais je fais confiance à mes lecteurs pour leur discernement. Et comme je ne suis pas à une contradiction près…
Mise à jour 2021 : Si, conceptuellement, cette réflexion me semble assez juste, dans le monde dans lequel nous vivons, qui ne se repaît que de chiffres, l’application d’une telle stratégie de discrétion toruve très vite ses limites. Le m’as-tu-vu et le tapageur se côtoient aujourd’hui dans nos sociétés bien plus sûrement que le goût, le discernement et, hélas, la discrétion… Tant pis ! Qu’à cela ne tienne, insérons-nous dans le monde dans lequel nous vivons, mais ne tombons point sujets aux pièges et aux mirages qu’il nous tend…