Marco Beltrami et Hans Zimmer étaient à Paris ce week-end pour le 1er Festival des musiques à l’image organisé par les Audi Talents Awards.
Pour ouvrir la manifestation, samedi après-midi à la Gaité Lyrique, avaient lieu trois master-classes : avec Ludovic Bource, compositeur ultra-récompensé de The Artist (master-classe à laquelle je n’ai pu assister), suivi de Marco Beltrami, et enfin, de Hans Zimmer. Ces master-classes étaient toutes trois animées par Stéphane Lerouge.
I. Marco Beltrami
Marco Beltrami monte sur scène et la master-classe commence, avec un extrait du Bon, La Brute et le Truand, dont la musique est de Ennio Morricone. Curieuse façon de commencer une master-classe sur Marco Beltrami ! L’idée était de montrer que musique et bruitages se rejoignent parfois, ce qui sera ré-évoqué un peu plus tard (on se souvient qu’Ennio Morricone traitait des « bruitages » de façon musicale, un peu comme Erik Satie bien avant lui dans Parade). Par ailleurs, Morricone est l’un des modèles de Marco Beltrami en musique de film. En effet, Morricone a réussi à étendre le spectre classique de la musique de film, tout en restant populaire, donc accessible à un public.
Marco Beltrami, ayant une formation théorique classique solide (Brown University, Yale School of Music, Venice with Luigi Nono), a choisi de se tourner vers la musique de film car selon lui c’est l’une des meilleures façons pour faire jouer sa musique de nos jours, contrairement à la musique de concert, agonisante. Avant de devenir compositeur, il a joué entre autres du hautbois dans sa jeunesse, mais c’était surtout pour lui un moyen d’aborder et de découvrir de la musique et des compositeurs.
Marco Beltrami complète ensuite sa formation à USC auprès de Jerry Goldsmith, avec qui se tissent des liens d’amitié. Parfois, Goldsmith lui donnait un thème ou du matériel musical pour une scène de film, et Beltrami devait le développer, le faire coller à la scène. C’était ensuite joué par l’orchestre, après quoi Jerry Goldsmith faisait jouer sa version… À la fin de sa vie, alors que Jerry Goldsmith se savait très malade, il avait déclaré : « Après moi, il y aura quelqu’un pour me remplacer, la relève est assurée par Marco Beltrami. » Il est d’ailleurs intéressant de noter que Marco Beltrami sera chargé de composer la partition du remake de The Omen (en 2006), film dont Jerry Goldsmith avait écrit la musique (oscarisée).
On visionne ensuite un extrait de Scream, début de sa collaboration avec Wes Craven et début d’une longue série de partitions pour le cinéma d’horreur/fantastique. Marco Beltrami avoue n’avoir jamais vu de film d’horreur avant ce film ! « I’m too easily scared! » Cela tombe bien, cela lui permet de sortir des clichés du genre. (Cette situation de « découverte » d’un genre offre d’ailleurs souvent des résultats pertinents, à l’instar de John Williams qui n’avait jamais vu de film de vampire avant Dracula 79 et propose une partition romantique plus qu’horrifique.)
Même si la plus grande partie des partitions de Marco Beltrami sont composées pour des films fantastique ou d’horreur (Mimic, les quatre Scream, etc), cela lui a sans doute permis d’explorer des mondes sonores un peu en dehors de ce qui se fait souvent en musique de film, et de mettre en valeur sa fibre contemporaine. On sent nettement la connaissance du répertoire de musique contemporaine dans la musique de Marco Beltrami, ne serait-ce que dans sa grande sensibilité aux timbres, aux textures sonores et à l’orchestration, qu’il maîtrise avec panache.
D’autre part, même si ces travaux de début de carrière ont pu contribuer à le cataloguer, il reconnaît que pour un producteur, engager un compositeur de comédies romantiques pour un drame par exemple n’est pas forcément évident. « Si vous faites appel à quelqu’un pour repeindre votre maison, vous n’allez pas appeler quelqu’un qui n’aura jamais repeint de maison, n’est-ce pas ? Quand on a écrit une musique dans un genre et que le film a bien marché, on a tendance à nous demander dix fois d’écrire encore cette musique. »
C’est donc un film inattendu qui lui ouvre les portes vers d’autres horizons : The Three Burials of Melquiades Estrada, premier film de Tommy Lee Jones à la réalisation. On écoute d’ailleurs l’ouverture du film, très rythmique malgré la petite formation instrumentale (douze ou quatorze musiciens), et c’est l’occasion de reparler de la limite son/musique, puisque Marco Beltrami a enregistré des sons d’épines de cactus !
C’est la partition de ce film qui le fait remarquer par Bertrand Tavernier, le côté rythmique en particulier. Bertrand Tavernier le contacte bien avant la post-production, bien avant la production même de In The Electric Mist (encore avec Tommy Lee Jones !). D’après Marco Beltrami, c’est une façon plus européenne de faire des films, où les réalisateurs ont leur mot à dire artistiquement, et plus de pouvoir qu’aux États-Unis, où c’est le cas jusqu’à ce qu’un screening test fasse peur aux producteurs qui veulent alors changer beaucoup de choses. C’était donc pour lui un luxe d’être appelé et impliqué dès le début du projet. Cela lui a laissé le temps de faire des recherches pour trouver un parfum de Louisiane et de l’époque du film, sans pour autant faire du « faux », ce que ne voulait surtout pas Bertrand Tavernier : accordéon, bruit de souffle d’accordéon, diatonisme, fiddle traité, etc.
On écoute In The Electric Mist, sans images, la salle plongée dans le noir : un grand moment.
Puis Bertrand Tavernier parle des bruitages, et de l’alliance musique/son ; on regarde une scène de la fin du film, éloquente à cette égard, avec beaucoup de sons d’insectes. La musique commence, s’arrête, reprend, souvent on ne sait plus vraiment où la musique commence, elle se mêle si bien avec les bruitages, et pourtant, comme le dit Marco Beltrami, la musique s’arrête quinze secondes, puis reprend, mais cela fait partie de la même musique, de la même idée, ce ne sont pas des morceaux séparés. Bertrand Tavernier insiste que c’est important de ménager des silences, des respirations dans la musique, contrairement à ce qui se fait bien trop souvent dans le cinéma américain.
Lors de la (très) courte partie de questions, quelqu’un demande à Marco Beltrami comment a débuté sa collaboration avec Buck Sanders. Marco Beltrami et Buck Sanders se sont rencontrés en 1997, et si Marco Beltrami est plutôt « papier crayon » mais pas du tout à l’aise avec la technologie, c’était l’inverse pour Buck Sanders. Depuis, ils travaillent ensemble ; Buck écoute le travail de Marco, lui donnant du recul et un point de vue sur ce qui fonctionne et sur ce qui fonctionne moins. C’est une sorte de « mariage » musical.
Une conférence intéressante, puisque je me suis rendu compte que si j’apprécie beaucoup la musique de Marco Beltrami depuis plusieurs années, je n’ai pourtant vu aucun des films associés !Cela confirme l’impression que je me faisais : Marco Beltrami est l’un des compositeurs de musique de film contemporain les plus intéressants, il faut que je découvre certaines de ses partitions et que je me penche sur les autres plus en détails. De plus, il utilise régulièrement de petites touches de Waterphone !
Toutefois, nous n’avons fait que survoler, et de façon très superficielle, bien d’autres facettes de la musique de Marco Beltrami. S’il était intéressant de faire monter sur scène Bertrand Tavernier pour dire quelques mots sur leur collaboration, la raison pour laquelle j’assistais à la conférence était Marco Beltrami, pas Bertrand Tavernier. Bertrand Tavernier étant bavard et Marco Beltrami réservé, la fluidité et la profondeur de la conférence en ont pâti.
II. Hans Zimmer
Hans Zimmer monte sur scène, très sympathique, chaleureux. Il est très drôle et raconte beaucoup d’anecdotes. Pour terminer la séance, alors que Stéphane Lerouge lui propose de choisir entre regarder un extrait de l’un de ses films et nous jouer quelque chose au piano, Hans Zimmer se prête au jeu en interprétant un morceau de The Dark Knight Rises. « It’s not an option! It’s a challenge! » assène-t-il !
Je me souviens d’une grande partie des anecdotes, mais puisqu’il me semble que Cinezik publiera un compte-rendu complet de la séance, autant ne pas être redondant. Très intéressant en tout cas, Hans Zimmer sait raconter les anecdotes, il sait capter l’attention d’un public, nul doute que ces qualités doivent lui être précieuses dans son travail au sein de Remote Control.
III. Le ciné-concert “The Artist” à l’Olympia
Le dimanche 14 octobre, le ciné-concert à l’Olympia commence par l’œuvre orchestrale Insight de Pascal Lengagne (lui-même au piano), lauréat des Audi Talents Awards et musique de la marque en 2011-2012. Il ne s’agit que d’un court extrait car la pièce, longue de dix-sept minutes, intègre aussi des éléments électroniques qu’il n’était pas possible d’inclure.
Puis Isabelle Giordano présente la soirée, donne la parole au PDG d’Audi France et présente les compositeurs. De courtes cues des musiques de film de Marco Beltrami sont interprétées par le Paris Symphony Orchestra, parmi lesquelles Mimic, The Knowing, I Am Dina, Hellboy, une sélection intéressante mais trop courte à mon goût. Puis deux morceaux assez long de The Da Vinci Code et Pirates des Caraïbes de Hans Zimmer sont interprétés. Un écran géant installé derrière l’orchestre permet de voir des extraits des films ou des images de l’orchestre en direct. On perçoit les sourires sur les visages des musiciens lors de l’interprétation de cette dernière œuvre. Qu’on apprécie ou non la musique de Hans Zimmer, l’orchestre prend vraisemblablement du plaisir à la jouer !
Marco Beltrami, Hans Zimmer et Ludovic Bource, tous trois très sympathiques et visiblement accessibles, montent sur scène. S’ensuit une discussion rapide ainsi que la remise de la médaille de la ville de Paris aux trois compositeurs. Questionnés sur leurs inspirations, Marco Beltrami et Hans Zimmer répondent « Morricone, Morricone, Morricone », mais aussi Beethoven et consorts, pour Ludovic Bource Brahms et Herrmann entre autres, etc.
Marco Beltrami sort un petit papier et lit un discours de remerciement en français ! Quant à Hans Zimmer, il déclare : « What I love in music, it’s writing for these people! » (en désignant l’orchestre) En ajoutant que ce qu’il y a de bien à Hollywood, c’est que l’industrie permet de maintenir en vie cette tradition orchestrale.
La deuxième partie du concert, c’est le ciné-concert The Artist, avec Ludovic Bource lui-même au piano. Michel Hazanavicius et Bérénice Béjo sont présents pour l’évènement.
La projection est magique. Dans la première séquence, les plans de l’immense salle de cinéma avec l’orchestre jouant devant l’écran et les réactions sur les visages des spectateurs constituent une mise en abyme étonnante du ciné-concert qui se déroule sous nos yeux. Par ailleurs, j’ai noté l’utilisation astucieuse des silences musicaux à des moments-clés du film.
Le ciné-concert s’achève par une standing ovation.
À la sortie de l’Olympia, des hôtesses distribuent à chaque spectateur un CD de quinze titres de la musique de The Artist. Très classe !
Mes impressions
Ce qui m’a profondément marqué pendant ces deux jours, c’est le point commun flagrant entre ces deux compositeurs si différents (je n’ai pas vu la master-classe de Ludovic Bource) : la vocation. Cela semble évident que leur but, leur passion, c’est la musique, et ils étaient vraiment faits pour cela.
Je n’aime pas trop la musique de Hans Zimmer, ni sa façon de travailler en communauté à Remote Control, mais j’apprécie certains de ses concepts, certains de ses travaux, et il a contribué à changer le paysage de la musique de film. Le problème pour moi tient plutôt à la méconnaissance des jeunes gens, bien souvent sans éducation musicale et qui veulent faire du Hans Zimmer, ou les producteurs qui poussent à faire du sous-Zimmer car « cela plaît » au public. Mais si j’ai bonne mémoire, Zimmer a lui-même répondu sur un forum il y a quelques années que chacun doit trouver sa voie, son style. Faire, même très bien, du « Machin », c’est faire du sous-Machin. Écrire du Mozart aujourd’hui sans être Mozart c’est faire du sous-Mozart, écrire du Dutilleux sans être Dutilleux, c’est faire du sous-Dutilleux, cela n’a aucun intérêt. Zimmer a trouvé son chemin, et qu’on aime ou pas il a apporté quelque chose à la musique de film, il a apporté une façon de travailler, il a pris des risques. Vouloir l’imiter en revanche, c’est croire que c’est facile, même sans bagage musical, d’écrire de la musique avec des machines : C’est faux. C’est le contraire de ce qu’a fait Hans Zimmer. De toute façon, Zimmer a des moyens autrement plus importants avec ses machines, il a ses propres sons, etc, et il encourage les jeunes compositeurs a créer eux-même leurs propres banques de sons. Certes, il n’avait pas de formation classique, mais il a compensé en inventant sa voix, à une époque où sa situation n’était pas si répandue que cela (Danny Elfman, s’est tracé un chemin très différent), et il y a réussi. Quelque part il est, lui aussi, anti-conformiste — mais pas ses suiveurs (« C’est bien là qu’est l’os, hélas ! »).