Assez peu connu, L’Ombre du Vampire est un film de 2001 réalisé par E. Elias Merhige, relatant de façon romancée le tournage de “Nosferatu, Une Symphonie de l’Horreur” de F. W. Murnau, avec John Malkovich dans le rôle de ce dernier et Willem Dafoe dans celui de Max Schreck.
Dans ce film, Murnau aurait engagé un véritable vampire pour interpréter le rôle du glaçant comte Orlok, sans toutefois en avertir son équipe… Tout le pitch est bien là, dans cette confrontation entre la réalité historique et cette relecture fantastique. On assiste donc à des reconstitutions du tournage et des remake de certaines scènes (traitées en noir et blanc).
Si le film est plutôt décevant, malgré une idée originale et plus qu’intéressante, la musique, signée Dan T. Jones, pour sa part mérite largement le détour. J’avais acheté la bande originale à l’époque, sans avoir vu le film, et je ne l’ai jamais regretté !
Dan Jones nous entraîne dans une partition remarquablement orchestrée, froide, à l’ambiance brumeuse, mystérieuse, et acérée, avec quelques touches de chaleur simulée, la musique parfois même glaçante précisément dans sa chaleur. Que dire en quelques mots ? On perçoit des relents de Kurt Weill, de laudanum, et de cinéma muet ! Les morceaux sont courts, mais leur précision, leur fragmentation dirais-je, en font des miniatures constituant, à la manière d’un Arlequin vêtu de son costume composite formé de losanges colorés, un personnage, un univers, saisissable non dans sa globalité mais plutôt dans une foule sans cesse renouvelée d’instantanés. Quelques motifs parsèment la partition, mais aucun thème n’émerge, il n’y en a d’ailleurs nullement besoin.
Concernant l’orchestration, les cordes sont richement utilisées, régulièrement en modes de jeu altérés, non vibrato, sul ponticello, quelques battutos, de nombreuses harmoniques… Les détails d’orchestration sont superbes et stylés, du traitement des cordes aux sourdines de cuivres en passant par les solos (surtout violon, mais aussi quelques mises en relief de clarinette basse, basson) et l’emploi intelligent et parcimonieux des percussions (un superbe la de vibraphone avec archet dans The Woods !, quelques interventions de jeu de timbres/crotales, des peaux graves et inquiétantes dans Going to Sleep, médium et robustes dans The Bunker, et une intervention anachronique mais efficace de Mark Tree dans Good Living). Quelques morceaux de genre, comme des [faux] morceaux “de cabaret” du début des années 1920, ou la superbe Greta’s Waltz, semblant sortir d’une boîte à musique orchestrale ! (Je m’étais amusé à reprendre à l’oreille ce morceau, et l’orchestration est beaucoup plus élaborée qu’il n’y paraît !)
Seul petit bémol, le CD contient des effets sonores dans quelques pistes (ambiances de ville ou de cabarets), cependant très efficaces dans le contexte (Dan Jones est également, il faut le noter, sound designer). Le disque s’ouvre ainsi avec une ambiance reposante de ville, dans A Street in Wismar, sur laquelle entre progressivement la musique… Title Music commence avec le son crépitant de la manivelle des caméras d’époque, sur lequel se greffe le son d’un enregistrement joué sur gramophone, puis sur lequel des harmoniques inquiétantes de cordes émergent doucement, dans une atmosphère rappelant le Prélude à la Nuit de la Rhapsodie Espagnole de Maurice Ravel.
Enfin, nous n’évoquerons nullement les titres des plages, pas forcément appropriés aux scènes auxquelles elles sont relatées, ni l’ordre de séquençage, chamboulé par rapport à la chronologie de la musique dans le film (mais plutôt efficace à mon goût).
Un album particulier, en somme, mais à prendre comme il vient, dans sa fraîcheur, dans son instantanéité, pour saisir les nuances de cet univers remarquable et envoûtant que nous propose Dan Jones, univers obsédant et tout en teintes sépias, à l’image de Nosferatu, Une Symphonie de l’Horreur, de Friedrich Wilhelm Murnau.