Il y a quelques années, j’ai évoqué le livre d’Elaine Gould Behind Bars, consacré à la notation et aux bonnes pratiques de gravure et de copie musicale.
Aujourd’hui, je parle du livre de référence, celui qui a précédé tous les autres : The Art of Music Engraving & Processing, de Ted Ross. Publié pour la dernière fois en 1987, le livre n’est plus trouvable de nos jours que sous forme numérique. Les personnes souhaitant lire la version papier doivent donc se tourner vers des copies de seconde main.
C’est bien dommage, car malgré les indéniables qualités du livre d’Elaine Gould, très complet, je trouve le texte de Ted Ross extrêmement clair et précis, pour toutes les bases de la gravure musicale. Le livre est plus accessible pour une première lecture, et contient de nombreux graphiques récapitulatifs, qui donnent d’un coup d’œil la solution à certains problèmes précis. Ici, je pense notamment aux pages illustrant à peu près tous les angles de ligatures possibles entre deux notes, idéal pour s’y référer dès que besoin s’en fait sentir.
Mais la force de cet ouvrage réside dans deux points-clés :
-
D’abord, l’auteur consacre un chapitre à toute l’histoire de la gravure musicale, commençant par l’imprimerie, jusqu’à la gravure sur plaque, en passant par la copie à la main, la copie avec les feuilles de transfert par “décalcomanie”, et même les innovations de l’époque : les machines à écrire la musique ! Ce travail d’exposition sur les différentes techniques, bien avant la popularisation de l’ordinateur, est important pour bien comprendre la philosophie de la notation musicale et la préparation correcte de partitions.
-
D’autre part, puisque l’auteur lui-même gravait des plaques de musique et utilisait d’autres procédés de préparation, il donne des solutions pratiques et concrètes pour déterminer l’espacement vertical des portées, l’espacement horizontal de la musique, et mille détails sur le placement correct de tous les éléments musicaux présents dans les partitions de musique. On entre alors dans un autre univers, où l’unité de mesure n’est ni le centimètre, ni les pouces, mais les espaces, une espace équivalent à l’espace entre deux interlignes d’une portée : c’est donc une mesure relative, qui change en fonction de la taille des portées, et qui assure une harmonie visuelle à la partition. Presque tout le reste est déterminé en fonction de cette unité de mesure.
Travaillant moi-même régulièrement à la main pour écrire mes manuscrits, j’ai remarqué que j’avais développé au fil du temps des techniques similaires (mais bien moins poussées) à celles décrites dans cet excellent ouvrage. C’est donc très utile de connaître les règles, et pour développer son œil, tout copiste, compositeur, orchestrateur ou arrangeur devrait savoir d’abord préparer un manuscrit clair et harmonieux… et cela éviterait, pour le copiste qui doit passer derrière, de trouver moins d’incongruités dans les fichiers Finale qui lui sont livrés à la base !
Car préparer une partition ou une partie séparée requiert de la planification : Combien de mesures sur telle pages ? Combien de systèmes ? Où placer les tournes ? Combien y aura-t-il de pages au final ? Quelle taille de papier ? Quelle taille de portées ? Etc.
Je me sers aussi de certaines de ces techniques quand je travaille sur ordinateur, en divisant d’abord le manuscrit en systèmes gravés, indiqués par des barres de mesures marquées en rouge sur la photocopie du manuscrit, les erreurs probables indiquées de façon proéminente en rouge, et les points de question ou les éléments auxquels je dois prêter davantage attention en bleu.
L’ennui avec ce genre d’ouvrages est que, pour préparer une partition en respectant absolument toutes les règles et tous les détails infimes présents dans ces deux livres, surtout sur ordinateur, où l’utilisateur doit généralement se débattre avec les automatismes des logiciels, automatismes néanmoins bien pratiques par d’autres côtés, l’ennui est qu’il faudrait y passer sans doute presque autant de temps que pour graver, en miroir, une plaque de musique équivalente ! (environ huit heures pour une page de musique assez simple de piano, comme celle en photo ; imaginez pour une page d’orchestre !)
À chacun, dès lors, de trouver son point d’équilibre, entre clarté, esthétique voire beauté artistique de la page de musique, et considérations pratiques telles que les délais ou les modifications possibles à venir…
Elaine Gould va plus loin dans les notations particulières, et met à jour certains éléments qui ont évolué depuis, mais la majorité de l’ouvrage de Ted Ross peut être appliqué de nos jours, bien qu’avec de nouvelles techniques et technologies. Pour bien comprendre les bases en détails, je recommande même de commencer par lire le livre de Ted Ross avant de lire celui d’Elaine Gould. Les deux sont très complémentaires mais celui de Ross aborde la partie historique qui fait défaut à Behind Bars, en révélant des procédés de préparation de partition que je ne soupçonnais même pas !
Si la gravure musicale, art désormais perdu, est le procédé sans doute le plus connu, produisant, entre les mains d’un graveur expérimenté, des résultats d’une beauté sans pareille, il existait aussi des procédés plus confidentiels. Vous pouvez ci-dessous regarder deux documentaires bien connus proposés par les éditions Henle, ainsi que l’explication du processus Halstan :
Pour ceux qui seraient curieux sur ce sujet, il est possible de se faire une idée de l’évolution des techniques de préparation de partitions sur le site Music Printing History